Le blog de la Guilde des Plumes

Comment écrire ses voeux en 2020?

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Préparer un discours de voeux en 2020 a-t-il encore un sens?

L’entrée dans le mois de décembre marque pour toute plume le début d’une période plus qu’intense: la préparation des voeux. Mais préparer un discours de voeux en 2020 a-t-il encore un sens? Comment tracer une ligne pour l’an prochain quand l’année qui vient de s’écouler a déjoué tous les pronostics et nous a obligé à un lâcher-prise peu compatible avec l’exercice d’autorité, de prospective et d’ambition pour l’avenir que représente un discours de voeux? Plus prosaïquement, comment écrire un discours quand on ne sait pas quand, ni comment pourront se tenir les traditionnelles cérémonies de voeux?
Soyons honnêtes avec notre ethos de plume: les gens ne viennent pas aux cérémonies de voeux pour les discours. Que ce soit celui du PDG, de la Ministre, de la présidente de Région, du maire ou du secrétaire général de la fédération, ce n’est pas ce qui les attire. Non les gens viennent aux cérémonies de voeux pour la réception qui suit le tunnel de discours. Même si la part de galette est industrielle, même si le mousseux est un peu éventé, même si on risque de croiser Robert de la compta et de devoir lui parler, la cérémonie de voeux est une tradition conviviale qu’on ne voudrait pas manquer, ne serait-ce que pour s’en moquer.

Mais alors, comment faire cette année? Sans cérémonie, sans horizon joyeux ni bilan réjouissant, que devient le discours? Sans grand-messe à organiser, à quoi bon prêcher?

Revenir aux fondamentaux du discours

A mon sens, ces voeux 2021 sont justement une opportunité incroyable pour les plumes comme pour leurs orateurs. Une opportunité de revenir au sens. L’année 2020 nous a fait perdre la notion du temps. Et avec elle ont volé en éclat les passages obligés, dont les voeux sont une des manifestations. Comme le rappelait cet article du Monde, si Roland-Garros et le Tour de France peuvent avoir lieu en septembre, pourquoi ne fêterions-nous pas le Nouvel An en avril?

Pourquoi célébrer l’entrée dans 2021? La voilà la grande question qui devrait constituer le fil rouge de bon nombre de discours de voeux cette année. Parce que tout va revenir « à la normale »? Parce que tout va changer? Parce que nous avons bien agi face à la crise et que nous en tirerons les conséquences? Pourquoi? C’est LA question préalable à laquelle il faut pouvoir répondre avec son oratrice ou orateur, sous peine d’écrire un discours de voeux complètement absurde, parce que totalement désincarné.

Eclairer le sens, valoriser la communauté

L’année qui vient de s’écouler a interrogé nos valeurs, personnelles comme collectives. Elle nous a confronté à ce que nous détestons le plus: le vide. D’un coup, nos agendas se sont vidés, tous les projets que nous nourrissions sont devenus soit impossibles, soit absurdes tant ils étaient désormais inadaptés à la situation. Le vide nous a laissé tout le temps de contempler les failles. Nos failles personnelles, celles de nos proches, collègues, amis, celles de nos entreprises, de nos dirigeants. L’année qui vient de s’écouler a fait la démonstration de notre vulnérabilité. Elle a créé de la peur, de l’épuisement, de la colère, du ressentiment. Autant de choses qu’il faut nommer dans le discours. Célébrer 2021 qui s’ouvre n’a de sens que si l’on fait un bilan lucide de 2020. Et pour beaucoup, ce bilan sera sombre. Cela ne veut pas dire que rien n’a été fait mais je crois que votre auditoire n’entendra rien du positif si vous ne commencez pas par les rejoindre dans ce qui a été leur réalité cette année.

Car je crois qu’on prend le problème à l’envers. La question n’est pas « Comment écrire un discours de voeux joyeux dans une année sombre? » mais « Avec qui construire l’année qui vient, sur qui et sur quoi pouvons nous nous appuyer pour donner du sens? »

C’est là le deuxième pilier d’un bon discours de voeux 2021 selon moi. Valoriser la communauté. Les communautés. Ecrire au « nous » qui ne soit pas un « nous » de majesté mais l’expression d’une communauté dont les liens sont réels, vivants, complexes. S’appuyer sur le terrain. Raconter des histoires d’entraide, de solidarité mais également des histoires de vie. En tirer des leçons, faire preuve d’humilité, faire en sorte que votre oratrice ou orateur soit un parmi eux, pas un au-dessus d’eux. Que le sens des responsabilités dont il ou elle sait faire preuve s’appuie sur une appartenance au groupe, non sur une élection au-dessus du groupe.

Changer sa façon d’écrire ?

Et quand viendra le temps d’écrire, à partir de ces deux piliers, vous verrez que normalement, vous devriez réussir à éviter les mots éculés dont plus personne ne sait ce qu’ils veulent dire: résilience, incertitudes, crise ou monde d’après. Car vous serez ancrés dans une réalité, celle du territoire ou de l’organisation dont vous parlez. Et vous ferez naturellement court. Car quel que soit le format, en vidéo ou lors d’une « vraie » cérémonie, la brièveté sera valorisée alors que cette année a été saturée de prises de parole tous azimuts, sur tous les canaux.

Les voeux 2021 sont une opportunité incroyable de changer le logiciel de nos discours. Arrêter de dessiner des paysages avec des concepts et commencer à raconter des histoires avec des gens. Les concepts viendront, mais après. De toute façon, vu la situation, qu’est-ce qu’on risque à essayer?