Le blog de la Guilde des Plumes

Comment parler d’environnement?

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Article (très) librement inspiré de la conférence inaugurale donnée par Monsieur Thierry Libaert à  l’ouverture du colloque « Comment parler d’environnement ? Héros/hérauts et communication  environnementale » organisé par le GER communication, environnement, science et société le 9  décembre 2020

 

« Ce n’est pas ici. Ce n’est pas maintenant. Ce n’est pas moi ». C’est par ce triptyque-choc que Thierry Libaert, professeur en science de l’information et de la  communication, résume les difficultés auxquelles doivent faire face les communicants lorsqu’ils souhaitent sensibiliser le grand public aux enjeux climatiques.  

« Ce n’est pas ici » 

Les sondages sont unanimes : les citoyens n’ont globalement pas le sentiment que l’espace dans  lequel ils vivent se dégrade. Très peu déclarent constater que la mer a gagné quelques centimètres  sur leurs côtes ou que les oiseaux se sont raréfiés près de chez eux. Tout ceci est loin, très loin. C’est  ailleurs en France, c’est ailleurs dans le monde.  

Pourtant, pour les observateurs aguerris de la faune environnante, le constat est sans appel. Ainsi, la  population de macareux moines, oiseau emblématique des rivages bretons, poursuit son inexorable  déclin. Seulement, à moins de s’armer de jumelles et de patience tous les dimanches pour procéder à un  comptage méthodique ou de suivre régulièrement les annonces de la Ligue pour la protection des  oiseaux (LPO), la plupart d’entre nous y demeureront insensibles. 

En effet, le changement s’effectue trop lentement pour qu’il nous soit perceptible. Tout comme la  grenouille qui, occupée à barboter tranquillement dans une casserole remplie d’eau, finira  progressivement par être ébouillantée vivante, nous ne percevons pas le danger. Des  bouleversements s’opèrent en silence, graduellement et inéluctablement.  

« Ce n’est pas maintenant » 

Les annonces gouvernementales ne font malheureusement que renforcer la conviction que les effets  tangibles de la crise climatique appartiennent à un futur lointain et aux films de fin du monde.  Dernier en date, l’objectif « neutralité carbone 2050 », qui est l’exemple parfait d’une mise à  distance à la fois temporelle et sémantique.  

Les conséquences de ce type d’annonces ne sont pourtant pas à prendre à la légère. En repoussant constamment les échéances, les décideurs jettent le trouble dans les esprits quant à l’imminence  réelle du péril qui nous guette. Cela est d’autant plus problématique que les scientifiques s’accordent  à dire que nous connaissons d’ores et déjà les dommages qui impacteront notre milieu pour les  trente prochaines années. Malgré ces alertes, les discours politiques continuent de se focaliser sur la  réduction future de nos émissions de gaz à effet de serre et non sur notre adaptation, urgente et  nécessaire, aux effets déjà certains du dérèglement climatique.  

Ainsi, dans certains territoires, des maisons, des routes et des bâtiments seront submergés par les  flots d’ici une dizaine d’années. C’est un fait, une certitude et non le mauvais scénario d’un film  catastrophiste. Ces infrastructures nécessitent d’être déplacées, relocalisées et l’espace dans lequel nous vivons dès à présent repensé.

« Ce n’est pas moi » 

« Je ne suis pas responsable de la crise climatique », au sens où en tant qu’être humain je ne me sens  pas concerné. L’origine humaine de cette crise est, malheureusement, encore taboue. Thierry Libaert  nous fait ainsi relever que lorsque nous recherchons « réchauffement climatique » sur internet, nous  tombons sur une flopée d’ours polaires. Pas de trace de l’homme. 

« Je ne suis pas responsable de la crise climatique », c’est également faire fi de sa propre  responsabilité en faisant porter la faute aux pouvoirs publics et aux entreprises. Thierry Libaert fait  d’ailleurs sur ce sujet une comparaison édifiante avec les campagnes de sensibilisation à la sécurité  routière. Il raconte que, lorsque les images furent présentées au public, les personnes présentes ne  se sentirent pas concernées par cette campagne. En effet, elles se considéraient comme des  conductrices responsables, qui ne feraient jamais preuve de négligence. Il en est de même pour  l’environnement. Nous nous considérons tous comme des éco-citoyens exemplaires. 

Il apparaît donc essentiel de changer radicalement notre approche spatio-temporelle de la  communication environnementale pour que nous puissions enfin entendre : « C’est ici. C’est  maintenant. C’est moi. » 

Ce changement ne peut se passer d’une réflexion autour des termes que l’on emploie pour parler d’environnement. 

Parlons de chaos climatique et non de réchauffement climatique 

En effet, les scientifiques estiment à tort que transmettre une information suffit à ce qu’il y ait une prise de  conscience. C’est faux. Il faut travailler sur les mots. Arrêter de parler de « stocks » de poissons ou de « réchauffement climatique ». Les poissons ne sont pas en « stock ». L’augmentation de la  température n’est, quant à elle, que l’une des facettes de la crise climatique, au même titre que les  événements météorologiques extrêmes ou les déplacements de population. Pour Thierry Libaert, ce  n’est donc pas de « réchauffement » ou même de « changement » dont il faut parler mais bien de  « chaos climatique ».  

Il nous invite également à cesser d’utiliser des termes comme « carbone » ou « lutte contre le CO2 ». Ce sont des ennemis invisibles. Ce sont des mots qui ne font appel à aucun sens, à aucune émotion ; des mots creux. Tout comme le  sont « recul du trait de côte », « biodiversité » ou « transition ». Un langage, qui, ainsi vidé de toute  force imagée, de toute personnalisation, nous effleure alors qu’il devrait nous transpercer.  

Pour autant, surfer sur le registre de la peur peut avoir un effet contre-productif et paralysant. C’est pourquoi, une fois le terme de « chaos » posé, il nous faut s’atteler à inventer de nouveaux mots, de nouveaux  espaces, de nouvelles façons de vivre. Mais nous sommes encore loin d’être  prêts.

A contre-courant des idées reçues 

Preuve en est, le pic d’intérêt de l’opinion  publique sur les questions climatiques aurait en réalité été atteint en … 1992, et non en 2020. Toutefois, les préoccupations environnementales ont toujours été fluctuantes et varient surtout en fonction de l’importance que les médias y accordent. 

On peut d’ailleurs se réjouir que cette attention ait redoublé ces dernières années, tout en y apportant certaines réserves. Ainsi, bien que les jeunes aient été parachutés sur le devant de la scène médiatique comme les nouveaux défenseurs du climat, ils ne sont pas plus sensibles aux enjeux environnementaux que les retraités. S’ils font un usage massif du streaming et sont adeptes des plateformes, très peu sont conscients du fait que l’ensemble de nos usages connectés (vidéos en ligne, courriels…) représentent  4% des émissions de gaz à effet de serre, soit l’ensemble du trafic aérien mondial. 

Ils ne sont toutefois pas les seuls à méconnaître l’impact environnemental du numérique. La dangereuse immatérialité de ce secteur en fait l’un des angles morts de la communication environnementale. En outre, bien que nous nous définissions comme connectés au monde, nous n’avons jamais  été aussi déconnectés des conséquences de nos actes. Nous ne savons pas à quoi ressemble un centre de données (data center) ni où ils se situent dans nos villes. Ce n’est pas ici. Encore moins maintenant.  

Même les éco-gestes que nous pratiquions fièrement depuis quelques années semblent déjà  dépassés. Nous découvrons par exemple à l’occasion de cette conférence qu’il vaut en réalité mieux  imprimer un document de quatre pages plutôt que de le lire sur son ordinateur. 

Se réapproprier le pouvoir d’écrire nos récits collectifs 

Pour autant, Thierry Libaert se veut enthousiaste pour l’avenir. En effet, il a une seule chose, une  seule, que nous n’avons pas encore essayée : « réinventer nos imaginaires ». 

A cet égard, si vous vous pensiez cinéphile ou littéraire, ne vous en déplaise, vous demeurez avant  tout un consommateur. Vos envies et désirs demeurent en partie façonnés par la publicité. Elle imprime sa marque à votre insu. Elle vous noie dans des milliers d’histoires de réussite et de rêves  d’évasion, qui tous, vous invitent à la consommation.  

Dès lors, on comprend mieux pourquoi limiter la publicité de façon drastique est l’une des  propositions phares de la Convention citoyenne pour le climat. L’enjeu n’est effectivement pas  simplement de « réguler la publicité » mais bien de se réapproprier le pouvoir que les hommes ont  toujours eu de choisir les valeurs qui les unissent et les récits collectifs qu’ils veulent écrire.