Le blog de la Guilde des Plumes

« Une parole instruite, située et authentique » – Retour sur le café du 6 octobre

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Nous étions une petite dizaine, le 6 octobre dernier au matin, pour échanger avec Nathalie Noël, professeure d’espagnol au LP2i de Poitiers, de cette nouvelle épreuve du Bac 2021: Le Grand Oral. Forcément cette épreuve a éveillé notre curiosité. Va-t-elle changer le rapport à l’oral des Français.es ? L’éloquence, la rhétorique vont-ils se tailler désormais une place de choix dans les outils scolaires, au détriment de la composition ou autre dissertation? Autant de questions que nous avions envie d’évoquer et la rentrée semblait le moment le plus approprié!

Un oral vraiment oral

Nathalie forme cette année des enseignants à cette nouvelle épreuve et donc à la façon dont on peut préparer des élèves de 17 ans à prendre ainsi la parole pendant 20 minutes, sans notes écrites, devant un jury. Une petite révolution dans l’enseignement secondaire, où l’oral (exposé, commentaire, présentation de projets…) s’appuie encore le plus souvent sur un support écrit, quel qu’il soit. Cette fois donc, pas de papier, uniquement sa mémoire, sa voix et son corps pour évoquer, après 20 min de préparation (mentale donc!), un sujet traité en enseignement de spécialité. Debout, face au jury, l’élève devra parler pendant 5 minutes sans s’arrêter sur un sujet qu’il aura choisi et traité toute l’année. Certes, mais toutes les plumes savent que la préparation n’y fait parfois rien du tout, si l’énergie, la force de conviction et surtout la capacité à parler le bon langage en face des bons interlocuteurs ne sont pas là, il y a peu de chances que le discours soit convaincant!

Devenir un équilibriste du langage

Et c’est justement sur cette question du « bon » langage que Nathalie Noël a insisté alors que les contours et les formes de l’épreuve restent encore un peu flous. Car après ces 5 min de « stand-up », il y aura 10 min d’entretien entre l’élève et les deux enseignant.e.s de son jury, et l’un des deux sera totalement néophyte. En clair, l’élève pourrait parler pendant 5 min des impacts du traité de paix de Westphalie sur l’ordre international contemporain devant un prof plutôt spécialiste de biologie moléculaire ou de la langue de Shakespeare. Alors, comme nous autres plumes, il faudra qu’il se fasse médiateur, traducteur, pour passer sans cesse d’une langue très spécialisée à celle, moins informée de son interlocuteur. Et il faudra aussi qu’il jongle avec son langage, fruit de son âge, de son milieu social, de son éducation, le langage de l’institution scolaire et celui de chacune des disciplines enseignées. Bref un vrai exercice d’équilibriste. Et pas seulement pour les élèves mais également pour les enseignant.e.s, notamment celles et ceux des matières peu sujettes à une pratique spontanée de l’oral. On a rarement vu un débat démarrer en cours de maths…

Finalement, souligne Nathalie Noël, ce Grand Oral bouscule l’ensemble de l’institution scolaire en obligeant à remettre de la longueur dans le langage. Ces 5 minutes durant lesquelles l’élève va parler de ce qu’il a construit comme analyse et argumentation autour d’un sujet ne sont que l’aboutissement d’un dialogue continu entre enseignant.e.s et élèves: « On me parle de quelque chose, j’en parle toute l’année et à la fin, je suis capable de parler de ce que j’ai construit ». Une belle analogie avec l’exercice de la plume…

Eloquence ou authenticité?

Bien entendu, la question qui anime régulièrement nos débats est revenue: comment faire pour que ces prise de parole ne soient ni formatées, ni un concours de stand-up ou de slam? Pour Nathalie Noël, le danger ne se situe pas là. Les outils de l’éloquence peuvent être mis au service de l’authenticité, tous les profs qui ont fait faire du théâtre ou de la radio à leurs élèves en sont convaincus. Et puis, depuis quelques années, les élèves sont évalués à l’oral au Brevet également et apprennent dès le collège à trouver l’oratrice ou l’orateur en eux.

Pour Nathalie Noël, l’enjeu du Grand Oral ne doit pas résider dans la recherche d’une performance. Mais dans celle d’une parole instruite, située et authentique. Un beau programme qui pourrait bien s’appliquer aussi aux plumes non?