Qui a dit que plume était un métier de sédentaire ? Certaines plumes ont des fourmis dans les doigts mais aussi dans les jambes. Avoir vu le monde, c’est l’ambition de Matthieu Crevits, trentenaire au profil de reporter au Petit Vingtième, dont j’ai le plaisir de vous croquer aujourd’hui le portrait. D’une enfance nordiste, exportée ensuite en Hongrie puis en Turquie au gré des expatriations familiales, il a développé une curiosité pour l’ailleurs. De ses premières années, il a gardé des attaches lilloises, même s’il réside aujourd’hui en Normandie, et rêve secrètement de repartir en Amérique du Sud. Il déteste qu’on puisse l’assigner à un territoire, le résumer à un lieu de résidence, tout en se refusant l’étiquette trop galvaudée de « citoyen du monde ».
Plume, c’est un métier qu’on choisit comment ? Si l’écriture tient une place importante dans la vie de Matthieu depuis l’adolescence, il ne l’a envisagée comme activité principale que sur le tard. Fortement convaincu qu’il lui faut rester indépendant, il explore minutieusement les offres sur le web. Le documentaire « Globe workers » sur le site Welcome to the Jungle lui met la plume à l’oreille en lui faisant découvrir, à la fin des années 2010, l’existence du nomadisme digital. Cette possibilité d’exercer une activité professionnelle en parcourant la planète, grâce à la technologie, et se frottant à d’autres cultures l’enthousiasme. Alors qu’il ne parle pas espagnol et n’a que de vagues connaissances de l’Amérique Latine, il choisit de se poser à Bogota, en Colombie, parce que la ville traîne une mauvaise réputation, qu’il y existe une auberge pour nomades digitaux, et qu’il faut bien commencer quelque part.
Il suit une formation de copywriting chez Livementor et s’embarque dans l’aventure d’une activité plurimillénaire (« scribe, c’est un bon métier ? ») en perpétuelle recomposition. Quel positionnement, quel besoin, pour quel type d’activité ? Plume freelance, copywriter et ghostwriter, pour toutes ces facettes du métier, il prône une approche méthodique et organisée. L’inspiration ? Nécessaire mais pas suffisante. La clé, dit-il, c’est de déployer une écoute attentive pour bien cibler les attentes de ses clients. Mettre en mots les expériences vécues de ses interlocuteurs, les aider à révéler leur potentiel, à prendre conscience de ce qu’ils ont à apporter, c’est cela le quotidien d’une plume.
Les ficelles du métier ? La régularité. L’écriture se travaille comme une course de fond. Cela tombe bien, Matthieu commence ses journées en s’oxygénant les neurones à petites foulées dans le bocage. Il s’entraîne aussi en restant à l’affût de nouvelles tendances. Il lutte contre le manque d’inspiration en réalisant une veille continue, sur des thèmes qui l’intriguent, sur des sites d’informations ou des podcasts qu’il écoute régulièrement. Omnivore, il n’est pas l’homme d’un seul média. Les mots se lisent, s’écoutent dans des podcasts, se montrent dans des vidéos sur YouTube… Ses sources d’inspiration ont un point commun : elles allient la finesse d’analyse à une capacité à varier les références, des plus populaires aux plus littéraires. Ses rôles modèles, artistes, intellectuels, partagent cette capacité à brasser des univers très différents, à pouvoir convoquer, dans une même phrase, l’humoriste Jessé, le groupe Tool et l’écrivain Michel Heller.
La montée en puissance des outils d’intelligence artificielle, une menace pour les plumes ? Pas vraiment. Matthieu Crevits est de ceux qui applaudissent les performances des outils IA permettant de retranscrire des interviews et faire gagner du temps mais ne croit pas au remplacement intégral des plumes par des ordinateurs. L’IA est capable de dire, mais est-elle capable de comprendre ? Elle offre des réponses probabilistes. Aussi fine que soit la capacité de compilation des machines, il leur manquera toujours l’incarnation, l’expérience vécue. Les meilleures plumes sont celles qui comprennent les gens et qui les aiment !
Comment Matthieu Crevits est-il rentré à la Guilde des Plumes ? Intrigué par un commentaire de Solène Thomas sur un post LinkedIn, il a voulu en savoir plus… et de fil en aiguille en est devenu adhérent, puis membre du CA. La Guilde, me dit-il, c’est un lieu où l’on côtoie des professionnels, où l’on peut à apprendre à muscler son écriture. C’est un groupe de passionnés extrêmement rigoureux et qui aiment écrire. On peut y partager des questionnements, participer à des ateliers, des cafés, et échanger sur les pratiques pour les améliorer constamment.
Son rêve secret ? Écrire un roman réaliste qui traiterait d’un phénomène d’actualité dans ses moindres recoins à l’instar d’Emmanuel Carrère, un auteur qu’il révère pour son sens du détail et son ancrage dans le réel. On l’imagine volontiers, dans quelques mois ou quelques années, envoyant son roman au monde, d’un ordinateur, rayé et cabossé, assis sur la bancale chaise en bois peint de couleur vive d’une pulpería au toit de chaume sur les bords du lac Titicaca…