Se prêter au jeu du portrait, c’est mettre sa plume entre les mains du hasard. Celui-ci se pique de malice en me proposant ma propre voisine de table lors de la dernière conférence d’Automne.
Aujourd’hui entre la banlieue parisienne, le pays d’Auge et l’île Maurice, le parcours de Bénédicte a toujours été émaillé de destinations surprenantes. Son père français finit ses études de médecin au Sénégal où il rencontre sa mère, vietnamienne née à Dakar. Elle grandit à Rovigo en Algérie puis à Cansado en Mauritanie, cité minière au bord de de la mer dont elle conservera le goût pour l’évasion et les embruns.
A l’âge de dix ans, Bénédicte assure à son entourage qu’elle sera soit écrivain, soit médecin. Ce sera la sociologie de la médecine avec une thèse portant sur les problèmes éthiques posés par la médicalisation de la grossesse. Désormais titulaire d’un doctorat, elle décide de transmettre ce qu’elle a étudié tout ce temps. Et la meilleure façon de le faire, c’est d’enseigner et d’écrire.
Car le goût du savoir l’anime depuis toujours. Elle peut lire des heures sans discontinuer, et la seule chose qui peut l’arrêter, c’est la nécessité d’écrire. Bénédicte se qualifie étonnamment de « polarde », du nom de ces étudiants qui ont l’idée saugrenue de travailler. Certaines phrases qu’elle prononce révèlent sa détestation des étiquettes. Ça ne sera pas la dernière.
Consultante indépendante, elle fait de l’écriture pour les autres : articles, blogs. Le format blog lui paraît idéal pour développer sa pensée riche, sa manière à elle de lutter contre l’angoisse de la page blanche. Quand son mari obtient un poste à Johannesburg en Afrique du Sud, elle le suit. Et lance « Ngisafunda » qui en zoulou veut dire « je lis encore, j’apprends encore ». Décrypter la société sud-africaine et explorer les townships, ces quartiers situés en périphérie des villes où la population de couleur est parquée. Derrière les discours de façade, la réalité du terrain.
Car Bénédicte aime le réel. « Il y a énormément de puissance dans la réalité. Pas besoin de chercher des effets de manche. L’orientation d’un regard, un geste qui se veut anodin mais qui ne l’est pas peut renfermer beaucoup de violence et créer de l’incompréhension ». Derrière le récit de cette expatriation, on devine ce besoin profond de comprendre et restituer les nuances. Une gageure en ces temps troubles.
Mais au fait, qu’est-ce qu’être plume pour elle ? Restituer la réalité des autres, leur univers, leurs motivations, ce qui les fait vibrer, les fait vivre. Être un porte-parole respectueux. Apporter des conseils sur les angles, ne pas hésiter à leur dire qu’on ne peut pas tout mettre par écrit.
Très grande lectrice, elle mentionne Joan Didion avec Holy Water, et la tentative par l’Homme de maîtriser la nature jusqu’à l’absurde dans le désert californien. Mais aussi Gains de Richard Powers, où son personnage principal, Laura Bodey subit dans sa chair les dégâts de l’industrie chimique locale. Une œuvre qui va la marquer au point de faire du nom de l’héroïne son titre de son blog sur la médecine préventive LauraBodeySimplyHuman.
Pour travailler sa méthode, elle cite Stephen King avec Ecritures : Mémoires d’un métier et Bird By Bird d’Anne Lamott. Mais aussi les ateliers d’écriture qu’elle apprécie énormément. Elle ne se lasse pas de voir à quel point une même contrainte peut donner des histoires complètement différentes nourries par l’expérience de chacun.
Quand Bénédicte n’écrit pas, elle s’arme d’une binette et investit son jardin normand. Un endroit idéal pour apprendre et réapprendre la saisonnalité, et ce besoin d’être patient. Incrédule face aux dix kilos de groseille qu’elle a produit de sa propre main, elle n’oublie pas de le commenter d’une pointe d’autodérision : « si tu m’avais dit à quinze ans, que j’allais faire une activité de mémère à chienchien… » mais son autre passion, le kitesurf équilibre la balance.
Quand je lui demande quels sont ses projets d’écriture futurs, elle évoque une ébauche de polar ou un projet de récit des pérégrinations familiales. Me confie être tenaillée par la peur d’écrire des choses idiotes et ce, avant même d’avoir commencé. « As-tu vraiment quelque chose d’intéressant à dire ? ». La marque des gens exigeants avec eux-mêmes.
Raconter ses voyages, c’est prendre le risque d’un récit de carte postale. Il n’en sera rien. « J’aime l’île Maurice car on ne me demande pas d’où je viens ». C’est l’autre phrase qui claque comme un coup de fouet. Je devine un long combat pour refuser d’être rangée dans une case. Être reconnue pour ce qu’elle est, jamais pour ce que les autres voudraient qu’elle soit.
Un récit dense, précis, s’inscrivant dans les pas de la non-fiction. Avec pour compagnon le rooibos, ce thé typique d’Afrique du Sud qui la ramène à la nation arc-en-ciel. Versé dans la plus grande tasse en sa possession, histoire de prolonger le moment.