La mer, c’est la vie. C’est aussi l’Histoire, le commerce, la diplomatie, l’alimentation, le paysage, les vacances, le climat… Et la langue. Voilà des siècles que les marins charrient dans leur sillage, dans leurs cales, dans leurs voiles, des denrées et des cultures, des dieux et des traditions… Aussi de nombreux idiomes portent-ils encore aujourd’hui quelques traces de sel dans leur terminologie.
La langue de Molière ne fait pas exception. Et la France, forte d’un domaine maritime de plus de 10 millions de km2, est la digne héritière de Jacques Cartier et d’Éric Tabarly. Aujourd’hui, nous vous proposons une plongée dans les profondeurs de la langue française, à la rencontre d’une escadre de mots que vous utilisez très certainement dans votre vie personnelle et/ou professionnelle, et qui ont tous une origine maritime.
Avant de résonner dans les open spaces, les réunions et les dîners de famille, ils ont arpenté les ponts des navires, au gré des vents et des marées. Prenons un exemple… »Faites le branle-bas ! Car il semble opportun de démarrer une cyber-campagne participative sur votre blog : pilotez ainsi à la demande, et sans encombre, dans l’imbroglio de votre visibilité ! » Parmi les mots et expressions en gras dans la phrase précédente, selon vous, combien ont une origine iodée ?
Eh bien les dix, mon capitaine ! Paré à suivre les courants de l’étymologie ? Ensemble, partons à la découverte de la petite histoire qui se cache derrière chacun de ces mots.
Branle-bas
Même si la réputation des marins n’est plus à faire, cette expression n’a rien de vulgaire… Car le branle, dans la marine à voile, était tout simplement le hamac sur lequel dormait un matelot. Le branle-bas, au sens propre, est donc le moment auquel les marins devaient décrocher leurs hamacs et courir précipitamment aux postes de manœuvre. Aujourd’hui, on parle de « branle-bas » lorsque l’on doit se préparer rapidement à affronter une situation imprévue, voire périlleuse.
Opportun
Jusqu’à l’arrivée du moteur à vapeur, le commerce maritime était soumis aux caprices d’Eole : la majorité des échanges utilisaient des bateaux à voile. C’est dans ces toiles de lin, puis de coton, que se cache l’histoire du mot « opportun ». Issu du latin, « ob » (vers) et « portus » (le port), ce terme désignait initialement un vent favorable qui poussait les navires vers le port. Par extension, « opportun » qualifie désormais quelque chose d’utile, de propice, d’intéressant.
Démarrer
Un bateau, lorsqu’il est à quai, est solidement tenu par ses amarres. Lorsqu’il veut quitter le port, l’équipage doit donc démarrer, c’est-à-dire enlever les amarres. Ôter les amarres, c’est le premier pas vers la liberté ! Cette expression maritime s’est peu à peu invitée dans le monde de l’automobile, de l’aviation, de l’entreprise… Et dans la vie courante, puisque l’on peut démarrer une formation, un emploi ou encore une relation.
Cyber
Voilà un mot très actuel, très innovant, très connecté… Et très ancien ! Le préfixe « cyber » vient du grec « κυβερνάω » qui signifiait piloter un navire et plus largement gouverner. Dans les années 40, la cybernétique a émergé comme la science du contrôle et de la communication, en écho à la nécessaire interconnexion entre l’équipage et son capitaine, où chaque décision doit reposer sur une remontée d’informations précises. De nos jours, cette racine iodée navigue dans les eaux de la cybersécurité, de la cyberculture, des cybercafés et même, des cyborgs !
Participatif
Dès l’époque romaine, une part était une portion d’intérêt que possédait un marin, un actionnaire ou un armateur dans la construction ou le chargement d’un navire. Participer signifiait donc, au sens propre, avoir des parts dans un commerce maritime… ou dans un trésor pirate, puisque le butin était distribué à la part à l’ensemble de l’équipage, selon le rôle et l’importance de chacun. Désormais, on parle de participants, de départements, de démocratie participative… Et toutes ces expressions viennent de la marine marchande.
Blog
C’est un mot anglais : cela, vous le saviez déjà… Mais soyons plus précis ! Le « logbook », sur les navires de Sa Majesté, désignait dès le XVIIè siècle le journal de bord, sur lequel le capitaine ou ses officiers notaient tous les évènements qui se déroulaient en mer : le temps, les incidents, le cap, etc. C’est en additionnant « web » et « log » qu’est né le terme « blog », qui désigne une sorte de journal publié en ligne. Un outil bien utile pour votre communication digitale et votre référencement !
Piloter
Ce terme vient du grec « πηδόν » le gouvernail. Il est passé en français par l’intermédiaire de l’italien « pilota » et/ou du néerlandais « piloot » (le timonnier), au gré des échanges commerciaux entre les uns et les autres, et désigne au départ celui qui conduit le navire. Par extension, on retrouve aujourd’hui le mot « pilote » dans des contextes très différents : pilote côtier, pilote de chasse, poisson-pilote, pilote de ligne, pilote automatique, copilote, etc. Quant au pilote maritime, qui guide cargos et ferrys lors de leur arrivée au port, c’est donc un beau pléonasme !
A la demande
Cette expression est née sur un bateau à voile. Filer un câble ou un cordage à la demande, cela signifie le laisser partir doucement, en suivant le mouvement du bateau, sans lui opposer de résistance mais en conservant la possibilité de le stopper à chaque instant. Une précaution bien utile dans les manœuvres de port ! On parlait aussi d’une pièce façonnée « à la demande » en charpenterie de marine, lorsqu’elle avait été conçue sur-mesure. Dans le marketing ou dans le commerce, on parle désormais de fabrication « à la demande » lorsqu’elle répond aux souhaits de la clientèle.
Encombre
Voilà un mot d’origine gauloise (peut-être disait-on « encombrix » ? 😉) qui désignait originellement un barrage édifié sur un rivière, avec des branchages, pour bloquer l’écoulement de l’eau. Peu à peu, ce mot a pris le sens d’un obstacle, d’un empêchement ou d’un frein, quel qu’il soit, qui empêche d’atteindre un objectif donné. On retrouve cette racine dans les encombrements qui bouchonnent dans nos rues comme dans les décombres que laissent derrière elles les catastrophes naturelles.
Imbroglio
Ce mot sonne parfaitement italien, parce qu’il est parfaitement italien ! « Imbroglio » est issu du vénitien « imbrogliare ». Au sens propre, il signifie carguer, c’est-à-dire actionner différents cordages pour retrousser une voile. C’est une manœuvre complexe qui peut, parfois, donner lieu à des nœuds et à des embrouilles… C’est de là que part son sens actuel : car on parle d’imbroglio pour désigner une situation confuse, floue, emmêlée. Espérons que ce ne soit pas (trop) le cas pour cet article !
Voilà dix exemples, parmi des milliers d’autres, du sillage que le commerce maritime a laissé dans la langue française. Chaque mot a une histoire, et voyage au gré des Hommes et des navires pour se confronter à d’autres langues et à d’autres histoires. C’est un scoop ? Pas vraiment… D’ailleurs, saviez-vous que le mot « scoop » venait lui aussi du monde maritime ? La boucle est donc bouclée.