Xavier Cazard, le fondateur de la maison de la Conversation, introduit la conférence d’automne 2025 de la Guilde des Plumes dont le thème est « Dans nos bulles ? ».
« Un mot personnel pour commencer.
Dans notre échange de bons procédés, on m’a donné une bulle de 15 minutes pour vous parler de ce lieu, la maison de la Conversation.
C’est une occasion de sortir de ma bulle, de grandir, de quitter le berceau : je suis introverti. J’ai créé un lieu où on s’écoute pour enfin pouvoir prendre la parole.
Cela dit la bulle est un symbole qui m’interpelle… je pense au Jardin des délices de Jérôme Bosch.
Un tableau fascinant, déroutant, où des dizaines de petites bulles — transparentes, fragiles, parfois inquiétantes — enveloppent des groupes d’humains dans des scènes irréelles.
Ces bulles symbolisent la fragilité du désir.

Ce tableau illustre la couverture de Sphères, la trilogie monumentale de Peter Sloterdijk,
Sloterdijk montre que l’humain ne vit jamais seul : il vit dans des « bulles », des « globes », des « écumes », des espaces de co-existence qui nous protègent mais qui nous séparent aussi.
Il dit que nos sociétés modernes ressemblent moins à un monde commun qu’à une mousse composée d’une infinité de micro-bulles juxtaposées.
Dans les bulles qui nous façonnent aujourd’hui, on connaît les bulles algorithmiques qui génèrent du clash.
Les bulles cognitives et les biais de confirmation.
Les bulles informationnelles qui individualisent l’information.
Mais la mère de toutes les bulles, c’est la bulle de l’ego.
Nous sommes des “ clients roi”, qui joue sur un ressorts décrypté par René Girard, la comparaison, celui de la comparaison, Il nous pousse à nous montrer sous notre meilleur jour, à performer, à s’auto-mettre en scène, à jouir d’une supériorité illusoire…
Cet hypertrophie de l’ego, nous isole, nous coupe des autres, accroît le sentiment de solitude : 500 000 personnes en mort sociale en France, 1 jeune sur 4 en situation de dépression.
Parallèlement, la défiance progresse : en quelques années, on passe d’environ 62 % de méfiance à près de 80 % vis-à-vis d’un inconnu.
S’ajoute un glissement normatif décrit par les sociologues : l’inattention civile. Pour « ne pas déranger », on s’ignore ; un sourire peut sembler intrusif, un mot, déplacé.
La digitalisation renforce cet effet d’évitement (temps d’écran, loisirs passifs, couples paralysés devant des séries). Le télétravail et l’archipélisation des pratiques réduisent les lieux de mixité (école, entreprise, syndicats, service militaire, cafés, clubs sportifs populaires).
Même les boulangeries se segmentent par goûts, codes et prix : on ne se croise plus. Conséquence de la peur de l’autre, la polarisation se renforce. Quand l’autre devient ses idées, une abstraction, il n’existe plus.
La maison de la Conversation : un antidote au cloisonnement.
« Comment créer du commun ? » Et c’est exactement ce que nous faisons ici, dans le 5ème quartier le plus pauvre de l’Ile-de-France.
Nous avons recréé une place du village autour de 5 piliers : égalité, sérendipité, convivialité, utilité et inclusion.
Ces piliers ne sont pas théoriques. Ils sont incarnés dans une programmation, tête – coeur – corps, qui fait vivre des expérience sociale autour d’un sujet : rencontre des gens qu’on ne rencontrerait pas autrement.
Par exemple :
- Façon de voir : l’alternative à la table ronde où le public même la danse (le prochain RDV sera le 13 janvier 2026 autour d’Olivier Hamant)
- Les bibliothèques vivantes : où des personnes deviennent des “livres” humains. Le public emprunte une histoire, une identité, une vie. Et ressort transformé.
- La clinique de l’amitié.
- La salle d’expression de soi.
Nous avons aussi des programmes à impact, tels que :
- La rue de la conversation.
- ConvX, notre anti-TEDX inventé avec les jeunes du quartier.
Aujourd’hui, 5 décembre, c’est la journée mondiale des bénévoles.
Je suis bénévole depuis l’ouverture il y a 4 ans. La maison de la Conversation est pour moi une réponse intime : un lieu où l’on peut exister autrement.
Où la vulnérabilité est autorisée. Où la parole circule. Où les mondes se mêlent.
Je ne suis pas seulement le fondateur de ce lieu. J’essaie d’en être le porte-parole : celui qui rappelle que la conversation est un acte politique, un acte social, un acte de résistance contre le rétrécissement du monde.
Vous, les Plumes : vous avez un pouvoir immense.
Vous créez les récits.
Vous organisez les imaginaires.
Vous donnez les mots qui permettent à la société de se comprendre elle-même.
Vous pouvez relier des mondes, ouvrir des horizons que l’algorithme referme, faire résonner les voix qu’on n’entend plus.
Personne mieux que vous ne peut écrire un récit du commun. Et je vous le dis très sincèrement : la maison de la Conversation a besoin de vous.
Nos besoins sont simples, concrets, assumés :
- des clients pour nos privatisation, nos missions de design d’expériences
- des bénévoles pour écrire le récit de la maison
- des mécènes pour financer nos actions gratuites,
- des experts pour proposer des services à nos clients.
Merci d’être là à la maison pour nous aider à sortir de vos bulles. »

La Conférence d’automne 2025 de la Guilde des Plumes s’est tenue le vendredi 5 décembre 2025 à la maison de la Conversation – Paris 18ème.
Le thème choisi pour la conférence 2025 est… Dans nos bulles ?
Comment ça dans une bulle ?
Les autres peut-être mais pas moi…
C’est la réflexion ou plutôt le réflexe que nous avons le plus souvent.
Et pourtant : bulles cognitives, informationnelles, algorithmiques, partisanes, territoriales… Nous vivons dans des compartiments étanches et n’en avons même plus conscience.
Difficile de communiquer dans ces conditions.
Forts de ce constat, nous avons décidé de mettre en lumière les bulles qui façonnent nos discours aujourd’hui. Car les identifier, c’est déjà commencer à en sortir.