Le blog de la Guilde des Plumes

Alexandra Fresse-Eliazord: Le langage dans toutes ses dimensions

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Je me demande souvent ce que deviennent les enfants qui se rêvaient écrivain. Alexandra est de ces désirs précoces. À 7 ans, à peine a-t-elle appris à lire et à écrire qu’elle dévore déjà les livres et goûte aux prémices d’une vocation.

Mais l’écriture revêt bien des atours, et son rêve se construit pas à pas. Après une hypokhâgne, Alexandra intègre Sciences Po Paris pour le cursus du diplôme de l’IEP puis pour un DEA de sociologie de l’action organisée. Pour son mémoire, elle compare la France et l’Allemagne sur les critères de recrutement des universitaires et s’installe à Stuttgart, puis à Berlin. Elle y fait beaucoup de théâtre, de l’intérim et devient standardiste à KPMG. 

L’arc d’Alexandra est multi-cordes, il épouse une diversité de métiers et de paysages. Elle est tour à tour communicante pour une fédération d’ingénieurs et de cadres, journaliste, documentaliste pour le Quid…. Elle apprend la technique, le travail de l’ombre et le lobbying. Quand elle se lasse de Paris, elle hésite entre la mer et la montagne. Ce sera Nantes. Un poste au cabinet du Président du Conseil régional des Pays de la Loire, comme « conseillère technique à l’écriture de discours et à la veille éditoriale ». 

Alexandra n’avait pas écrit d’autre discours qu’un hommage à ses grands-parents lors d’un diner de famille. Elle doute, et remercie aujourd’hui son directeur de cabinet qui lui donne confiance, lui propose une formation de trois jours et lui dit qu’elle sait s’adapter, c’est le plus important. Pendant trois ans, elle écrit pour Jacques Auxiette. Elle honore son appétence pour la Chine avec des citations de Confucius ou de Lao Tseu ; et à l’heure de son départ, rompue à l’écriture de discours, elle a développé des « ateliers du discours » au sein du Conseil régional. 

Elle s’adapte aussi à son corps, qui n’est jamais que notre matière première. Entre ses 25 et ses 35 ans, une maladie lui « coupe les ailes ». Elle, que ses camarades de promo surnommaient « speedy gonzalez », doit apprendre à ralentir. La naissance de sa fille est un déclencheur. Alexandra quitte Nantes pour une commune de 400 habitants dans le Morbihan. Dans ce territoire où « il y a beaucoup de culture et d’artistes », elle trouve son équilibre.

Aujourd’hui, elle se définit comme « plume accompagnante », pour aider les gens à trouver leurs propres mots. « Cela se fait à deux. Je travaille pour des gens qui n’ont soit pas les mots, soit pas le temps, ou les deux. » Parce que la rédaction seule lui semble trop précaire, elle puise dans sa pratique du théâtre et se forme au coaching pour accompagner ses clients à la fois sur l’écriture et sur la prise de parole en public. Cela lui apporte des outils, une éthique, et un engagement à « une obligation de moyens plutôt que de résultats ». 

Alexandra aime découvrir chaque fois de nouveaux univers, apprendre, bâtir des ponts, passer de la rédaction d’un site web pour un ébéniste d’art – et ingurgiter près de 400 pages de contenus techniques – à une intervention à l’ambassade des États-Unis en France, puis à la formation et l’accompagnement d’élus locaux. Pour eux, elle rédige deux ouvrages, Écrire un discours, manuel pratique à l’usage de l’élu ou de sa plume et Prendre la parole en public, s’exprimer et convaincre, aux éditions Territorial. Elle aime la dimension terrain des élus locaux, « ils sont directement confrontés à la vie des gens ». 

Elle veut comprendre comment l’humain fonctionne, c’est le fondement de sa formation de sociologue et de sa vocation d’écrivaine. Elle aime aussi expérimenter, s’exercer, pratiquer la poésie libre comme l’écriture sous contrainte façon Oulipo. « C’est un peu comme faire ses gammes. Et l’écriture de site web, c’est de l’écriture sous contrainte avec des mots clés à placer. » Alexandra se nourrit des romans de Paul Auster ou de Laurent Gaudé. Elle s’inspire d’Anaïs Nin – « elle a passé sa vie à naviguer dans plein d’univers » -, de la poésie et de la précision de Virginia Woolf. 

Et surtout, elle touche du doigt son rêve d’enfant. Après un premier roman, Les chants des anges, publié en 2005 chez Le Verger éditeur, elle s’apprête à publier un nouveau roman en avril 2022 aux éditions Gephyre : une exploration « de l’infra-langage et de la puissance de l’esprit, en-deçà des mots ».