Le blog de la Guilde des Plumes

L’art de l’incarnation par la modestie : le cas de Nelson Mandela prix Nobel

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Prononcer un discours relève de l’exercice personnel, voire personnifiant et implique intimement l’orateur. Il y a donc risque d’un trop-plein d’orgueil qui peut desservir le discours. Les exemples ne manquent pas. Or, ils sont rares mais ils existent ces discours paradoxalement brillants où l’orateur s’efface entièrement derrière son sujet sans pour autant perdre de sa force évocatrice. C’est le cas du discours de récipiendaire du Nobel de la Paix par Mandela en 1993.

D’abord le 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗲𝘅𝘁𝗲 : Recevoir le prix Nobel de la Paix serait pour n’importe qui un moment de gloire personnelle, l’occasion dans son discours de parler de soi et de noyer son message dans l’auto-congratulation. Il félicite d’ailleurs davantage son co-lauréat :

« Il a eu la clairvoyance de comprendre et d’accepter que tous les habitants de l’Afrique du Sud devaient, […] en tant que participants égaux au processus, déterminer ensemble ce qu’ils voulaient faire de leur avenir »

Ensuite 𝗹’𝗶𝗻(𝗰𝗮𝗿𝗻𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻) : Il ne dit pas « je », donc, mais « nous ». Et dans ce « nous » il invite tous ceux qui, à travers le monde, luttent pour la justice et les droits fondamentaux. Sur la scène, charnellement, ce n’est presque plus Nelson Mandela qui parle mais tous ceux qu’il convoque.

« Nous sommes ici aujourd’hui en tant que représentants des millions de personnes qui ont osé se soulever contre un système social dont l’essence même est la guerre, la violence, le racisme, l’oppression, la répression et l’appauvrissement d’un peuple entier ».

𝗟𝗲 𝗺𝗲𝘀𝘀𝗮𝗴𝗲 : À la réception d’un Prix Nobel, que dire sinon merci ? S’il considère qu’il ne s’agit pas d’une récompense personnelle, l’orateur doit donc donner sa propre signification au moment. Pour Mandela, qui refuse d’y voir un sacre, « cette récompense ne se mesure pas en argent […]. Elle se mesure au bonheur et au bien-être des enfants […] elle se mesure à la paix ». Autrement dit, le Prix Nobel n’est pas suffisant (merci du cadeau), la vraie distinction sera la paix et le bonheur des enfants sud-africains.

𝗥𝗲́𝘀𝘂𝗹𝘁𝗮𝘁 : Loin de l’ingratitude, Mandela signe un discours plein de reconnaissance. Il décentre simplement le sujet d’une cérémonie pourtant hyper-personnifiante pour en faire une tribune partagée.

𝗖𝗼𝗻𝗰𝗹𝘂𝘀𝗶𝗼𝗻 : Si le discours relève de l’exercice personnel, il ne faut pas perdre de vue que l’objectif est d’être efficace et de transmettre un message clair et percutant. Pour ne pas l’entraver, l’orgueil et la personnification doivent être savamment dosés. Ou, dans le cas Mandela, complètement laissés de côté pour d’autant plus de résonance. C’est l’art de l’incarnation par la discrétion ou quand la modestie donne sa force évocatrice au message.

 

Par William N’gbala pour la La Guilde des Plumes