Le blog de la Guilde des Plumes

Sur des vers de Dante…

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1321-2021 : à des siècles de distance, Dante a beaucoup à dire aux plumes.

En Italie surtout, en France aussi, 2021 marque le 700e anniversaire de la mort de Dante Alighieri. Rares sont les poètes qui ont donné lieu à un adjectif, dantesque, passé dans le langage courant. Et les célébrations prévues pour cette « année Dante » seront sans doute à la mesure de l’empreinte profonde que cet auteur a laissée sur la culture européenne. Mais biographies, colloques et événements trouveront leur pleine utilité s’ils incitent un large public à (re) lire Dante, dans les mois et les années à venir. En particulier son œuvre-maîtresse, La Divine Comédie. Composé au début du XIVe siècle, ce poème épique contient en effet plusieurs passages qui peuvent résonner à nos oreilles.

Dans la première partie de La Divine Comédie, l’auteur parcourt les Enfers, accompagné de Virgile. L’Inferno est divisé en neuf cercles concentriques, organisés suivant la gravité des pêchés : dans le neuvième et dernier cercle, on trouve les pêcheurs qui ont commis la faute la plus grave, les traditori, les traîtres en premier lieu mais plus largement, tous ceux qui ont manqué à leur parole. Et le lecteur de rencontrer, dans cet ultime cercle des enfers, quelques célébrités comme Judas, Brutus ou Cassius.

Trahir sa parole, faute ultime ? C’est l’une des questions que Dante nous pose, à travers les siècles. Elle s’adresse à chacun d’entre nous… et tout particulièrement aux responsables politiques ! C’est qu’il existe un écho, si ténu soit-il, entre la condamnation des traditori et le statut actuel de la parole publique.

Le propos appelle une illustration tirée de l’actualité la plus immédiate : lorsqu’un chef d’Etat énonce des dates de réouverture, lorsqu’il hasarde un calendrier pour le desserrement des contraintes sanitaires, sa parole est scrutée, attendue par l’immense majorité des citoyens. Ces derniers ont sans doute quelques raisons d’être fébriles à l’approche de la parole présidentielle : combien de calendriers ont glissé, combien d’annonces ont été reportées… pendant tous ces mois de crise sanitaire ?

Il n’est évidemment pas question ici de vouer nos dirigeants aux enfers mais pourra-t-on nier que la parole publique doit plus que jamais porter des engagements qui seront tenus ? Les enjeux sont aussi multiples que cruciaux. Pour les décideurs publics en premier lieu, qui prennent le risque d’être les nouveaux traditori s’ils manquaient trop souvent à leur parole. Pour les citoyens, ensuite, en proie à la lassitude face à une parole publique dévalorisée : le risque est réel d’un décrochage des gouvernés face aux gouvernants, dont nous entrevoyons déjà les conséquences, entre vote protestataire, anomie voire réactions violentes du corps social.

En ces temps lourds de menaces, les plumes ont une responsabilité. Si notre métier repose souvent sur un pas de deux avec les décideurs publics, il nous revient alors de façonner avec eux une parole à la fois engageante et crédible. Avec la constance de la parole publique pour fil d’Ariane, la plume peut cheminer de conserve avec « son » dirigeant, en le gardant des fausses promesses tout en l’aidant à tracer des perspectives dont nous avons toutes et tous grand besoin. En nous rappelant l’importance de la constance dans la parole donnée, Dante vient délivrer une utile leçon aux plumes que nous sommes. Sept cents ans après sa mort, il nous parle encore. N’est-ce pas le propre des chefs-d’œuvre ?

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PS : on trouve dans le centre de Paris La Tour de Babel, une belle librairie italienne dont la façade est en cours de ravalement. Les échafaudages qu’imposent ces travaux ont cependant été recouverts de citations tirées de La Divine Comédie, pour marquer l’année Dante ! Voulez-vous en voir davantage ? Si vous le pouvez, rendez-vous au 10, rue du Roi de Sicile, 75004 Paris (métro : St Paul)