Le blog de la Guilde des Plumes

Retraite d’écriture (et de lecture !)

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Retraite d’écriture – jour 1

LeoTom

Dehors, une odeur de figues et d’oseille.

Dedans, l’odeur du marbré au chocolat de Yaël qui cuit au four et nous enrobe de sa moelleuse douceur.

Pour bien écrire, c’est bien connu, il faut d’abord bien manger. Alors ce matin, nous avons fait le plein : pommes de terre, fromage et cornets de glace. De quoi nourrir notre imaginaire pour un moment. Sur le chemin des courses, nous avons parlé de choucroute et de Maylis de Kerangal, en croisant de belles maisons. La nôtre s’appelle LeoTom. C’est une élégante demeure en meulière, construite en 1925, sur trois étages. En arrivant hier soir – de Nîmes, Strasbourg, Trouville, Peillac et Paris – nous nous sommes réparti les chambres, chacun la sienne. Au sol, le parquet craque. Les cheminées en marbre surmontées de miroirs tachetés, les vieilles armoires en bois et les draps blancs à corolle donnent au lieu un charme désuet et champêtre. Partout, les hautes fenêtres laissent entrer la lumière par grands jaillissements. Nous sommes à Vitry-sur-Seine. Si proches de Paris, et déjà si loin. A l’arrière de la maison, un grand jardin aux herbes hautes recèle de nombreux trésors : une petite piscine – ou plutôt un grand bac, dans lequel Martha, Alexandra et Véronique se sont bravement aventurées – des balançoires, un figuier, une grande table en bois, deux mystérieuses petites cabanes fermées à clé, et des bancs en bois ornés de poétiques coussins à fleurs. Tout un petit royaume paisible, peuplé d’herbes folles et d’insectes vrombissants – papillons virevoltant en paires, fourmis aventurières et moustiques tigres organisant des raids assassins, indifférents aux bougies, sprays et serpentins censés nous protéger, sur les coups de 18 heures.

Très vite, chacun s’est trouvé un petit coin pour écrire. Un bout de canapé sous la véranda, la grande table du séjour, une chaise sur la terrasse, un lit, l’herbe du jardin. La maison s’est soudain emplie de mille petits objets personnels, notre attirail de plumes sorti en un clin d’œil des valises – des ordinateurs, des stylos, les nombreux petits carnets d’Alexandra, le Moleskine d’Emma, des lunettes, des écouteurs. Et bien sûr des livres partout, qui nous suivent comme autant de membres silencieux et merveilleux de cette retraite – Gala et Les sœurs Rouart de Dominique Bona, des nouvelles de George Simenon, Le devoir de violence de Yambo Ouologuem, Minuit sur le monde de Jules Pétrichor, Aden Arabie de Paul Nizan, Le pays des autres de Leïla Slimani ou encore Des hommes de Laurent Mauvignier. Nos lectures reviennent à intervalles réguliers dans nos conversations, comme un thème chéri, que l’on a l’impression de ne jamais pouvoir tout à fait épuiser. Des listes se dressent à la volée, sur les téléphones ou sur des cahiers, pour ne rien oublier. De l’écriture, bien sûr, il est aussi beaucoup question. A table, entre deux bouchées de tortilla, chacun a parlé de son projet personnel et de ses objectifs pour ces quelques jours à l’écart du monde. Projets de romans, de nouvelles, de livres pédagogiques… l’écriture est notre unique programme, et pas des moindres. Alors, comme des athlètes à la veille d’un marathon de haute importance, nous nous sommes solennellement souhaité bonne chance.

Retraite d’écriture – jour 2

Confluences

15 heures. L’après-midi s’étire, sous un ciel devenu soudainement gris. Le café est déjà loin, la digestion est en cours. Dans le salon, règne un silence quasi-total, seulement rompu par le ronron du lave-vaisselle et des doigts de Martha pianotant à vive allure sur son clavier d’ordinateur. Depuis le jardin nous parviennent les voix de Yaël et Véronique, qui barbottent dans la piscine, pas impressionnées du tout par les gouttes de pluie qui commencent à tomber. Au déjeuner, on a parlé à bâtons rompus de poésie – Pessoa, Neruda, Hugo – de Murakami, de romans policiers, de politique, des grands-mères de Yaël qui parlaient toutes les langues, de tarot et de Guillaume Musso. Les plats sont passés de mains en mains, on s’est servis et resservis, et les conversations se sont poursuivies dans la cuisine, plus intimes, autour de la cafetière et de la vaisselle que l’on range à la fin du repas. Puis, sans que l’on sache exactement quand ni comment, le calme s’est fait dans la maison. La terrasse, trop chaude, s’est vidée, et les voix se sont tues. Les esprits, à nouveau concentrés, ont réembarqué pour de longues traversées en solitaire – en quête du mot juste, de la formule qui claque et de l’image qui touche.

Tout à l’heure, Alexandra est descendue de sa chambre, et a annoncé à voix basse, à qui voulait l’entendre, avoir mis un premier point final à son texte : « c’est un premier jet, je dois encore tout relire », a-t-elle précisé avant de remonter illico dans sa chambre. On est heureux pour elle. Martha peste contre son ordinateur, qui lui fait des misères et fait des sauts de page là où il ne faut pas. Ce matin, de 9h à 10h, elle a écrit d’une traite un passage crucial mais difficile – pour des raisons qu’elle ne précise pas – et qu’elle appréhendait d’écrire depuis longtemps. Fierté du sommet atteint. Et elle, ne se relira pas : « pas la peine de toutes façons, je ne le réécrirai pas », déclare-t-elle sur un ton sans appel. Après son exploit, Martha n’a plus pondu une ligne de 10h à midi. La plume a ses élans que la raison ne comprend pas.

De temps à autre, on se lève, on s’étire et on vient dans la cuisine, pour préparer un thé chaud, prendre une part de gâteau au chocolat qui trône sur la table, ou simplement regarder par la fenêtre les yeux perdus dans le vague, encore tout à son texte. Certains font lire leurs écrits aux autres. Moment suspendu, où l’on craint la sentence, même si l’on a établi hier une méthode objective et rationnelle de feedback, proposée par Hadrien : dire ce que l’on a aimé, moins aimé, ce qui nous interroge, et les idées que l’on propose. Martha fait les choses bien : elle écrit dans un cahier toutes ses remarques sur le texte d’Alexandra, avant d’entrainer cette dernière dans un conciliabule animé au fond du jardin. De son côté, Emma fait lire à Hadrien sa galerie de portraits incisifs et poétiques. De ces lectures mutuelles, qui sont autant d’influences potentielles, naitront peut-être de nouvelles idées. Les esprits, fécondés par d’autres visions, seront peut-être emmenés sur des terres inconnues, dont surgiront de nouvelles images et de nouveaux langages. La magie du collectif.

Retraite d’écriture – jour 3

Fin de partie

La pluie s’est enfin arrêtée. Sous la véranda, où nous nous sommes réfugiés, le soleil refait son apparition, d’abord timidement et par intermittence, puis par grandes et franches giclées de lumière. Comme le petit peuple volant du jardin, qui se remet à danser en lévitation dans l’air humide et reprend entière possession de son domaine, nous tentons une sortie prudente – et moins gracieuse que celle des papillons – sur la terrasse. Le jardin exhale l’odeur forte de la terre imbibée d’eau – une odeur qui a un nom, « pétrichor » nous apprend Alexandra. Sur l’herbe perlent encore des milliards de petites gouttes, qui réfléchissent la lumière du soleil comme autant de pierres précieuses ou d’étoiles scintillantes, avant de disparaitre. Sous l’effet d’un autre sortilège, l’eau se transforme en vapeur sur le sol de la terrasse et enveloppe le jardin d’une étrange fumée, sortie d’on ne sait quel geyser ou des entrailles d’un dragon terrifiant tapi dans les feuilles.

Toute la nuit, la pluie est tombée sans discontinuer, cognant contre les vitres, pour le grand plaisir de Martha qui s’est même levée à 5 heures du matin pour ouvrir la fenêtre et s’endormir, bercée par le doux chant des gouttes. Hier soir, pendant une accalmie, nous sommes tombés nez à nez avec un troupeau d’escargots, qu’Hadrien a généreusement parqués sur la table du jardin, « pour éviter qu’on ne les écrase », avant d’en écrabouiller un dans un tragique bruit de coquille brisée quelques minutes plus tard. Pendant ce temps-là, ni vue ni connue, une limace s’est faufilée à l’intérieur de la maison. Moche et dégoutante comme peut l’être une limace. Mais touchante dans sa détermination à explorer le monde. Ce matin, de toutes ces fééries nocturnes et visqueuses, ne subsistent que deux gros escargots, dévorant pacifiquement une plante sur la terrasse. Et nous, assez mal réveillés – à tel point que l’on ne sait plus où diable sont passées les clés de la maison, et que l’on craint ne jamais pouvoir sortir de LeoTom – mais inspirés.

Hadrien, qui depuis quelques heures n’a pas bougé de son poste d’écriture – un fauteuil très confortable dans un coin du salon –, semble s’agacer devant son ordinateur et laisse échapper moult soupirs désespérés. On se dit que son texte doit lui donner du fil à retordre. Et que l’écriture est décidément, un exercice bien éprouvant. Soudain, une exclamation plus vive et bruyante que les autres nous fait toutes sursauter, et Hadrien crache le morceau : il suit en direct le quart de finale de la coupe du monde féminine de football. Une séance de tirs au but insoutenable, et le match se solde par la défaite de la France.

On oublie ce mauvais moment autour d’une bonne salade de haricots frais venus tout droit du marché, et d’une discussion passionnante sur l’analyse transactionnelle. Notre pile à lire (PAL pour les intimes) ne cesse de s’allonger. A la fin du repas, Selma dit que c’est déjà le dernier jour de notre retraite, et qu’elle n’arrive pas à y croire. C’est vrai, tout est passé trop vite. Mais il nous reste encore un peu de temps. Pour continuer à écrire ce que l’on peut encore écrire, lire les textes des uns et des autres, partager en petits groupes nos impressions et conseils, échanger sur les mille facettes du métier de plume, discuter de tout et de rien autour d’un bol de mirabelles, apprendre encore un peu plus de chacun et profiter, encore quelques instants, du bonheur d’être ensemble.