Le blog de la Guilde des Plumes

Fin de partie

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Retraite d’écriture – jour 3

La pluie s’est enfin arrêtée. Sous la véranda, où nous nous sommes réfugiés, le soleil refait son apparition, d’abord timidement et par intermittence, puis par grandes et franches giclées de lumière. Comme le petit peuple volant du jardin, qui se remet à danser en lévitation dans l’air humide et reprend entière possession de son domaine, nous tentons une sortie prudente – et moins gracieuse que celle des papillons – sur la terrasse. Le jardin exhale l’odeur forte de la terre imbibée d’eau – une odeur qui a un nom, « pétrichor » nous apprend Alexandra. Sur l’herbe perlent encore des milliards de petites gouttes, qui réfléchissent la lumière du soleil comme autant de pierres précieuses ou d’étoiles scintillantes, avant de disparaitre. Sous l’effet d’un autre sortilège, l’eau se transforme en vapeur sur le sol de la terrasse et enveloppe le jardin d’une étrange fumée, sortie d’on ne sait quel geyser ou des entrailles d’un dragon terrifiant tapi dans les feuilles.

Toute la nuit, la pluie est tombée sans discontinuer, cognant contre les vitres, pour le grand plaisir de Martha qui s’est même levée à 5 heures du matin pour ouvrir la fenêtre et s’endormir, bercée par le doux chant des gouttes. Hier soir, pendant une accalmie, nous sommes tombés nez à nez avec un troupeau d’escargots, qu’Hadrien a généreusement parqués sur la table du jardin, « pour éviter qu’on ne les écrase », avant d’en écrabouiller un dans un tragique bruit de coquille brisée quelques minutes plus tard. Pendant ce temps-là, ni vue ni connue, une limace s’est faufilée à l’intérieur de la maison. Moche et dégoutante comme peut l’être une limace. Mais touchante dans sa détermination à explorer le monde. Ce matin, de toutes ces fééries nocturnes et visqueuses, ne subsistent que deux gros escargots, dévorant pacifiquement une plante sur la terrasse. Et nous, assez mal réveillés – à tel point que l’on ne sait plus où diable sont passées les clés de la maison, et que l’on craint ne jamais pouvoir sortir de LeoTom – mais inspirés.

Hadrien, qui depuis quelques heures n’a pas bougé de son poste d’écriture – un fauteuil très confortable dans un coin du salon –, semble s’agacer devant son ordinateur et laisse échapper moult soupirs désespérés. On se dit que son texte doit lui donner du fil à retordre. Et que l’écriture est décidément, un exercice bien éprouvant. Soudain, une exclamation plus vive et bruyante que les autres nous fait toutes sursauter, et Hadrien crache le morceau : il suit en direct le quart de finale de la coupe du monde féminine de football. Une séance de tirs au but insoutenable, et le match se solde par la défaite de la France.

On oublie ce mauvais moment autour d’une bonne salade de haricots frais venus tout droit du marché, et d’une discussion passionnante sur l’analyse transactionnelle. Notre pile à lire (PAL pour les intimes) ne cesse de s’allonger. A la fin du repas, Selma dit que c’est déjà le dernier jour de notre retraite, et qu’elle n’arrive pas à y croire. C’est vrai, tout est passé trop vite. Mais il nous reste encore un peu de temps. Pour continuer à écrire ce que l’on peut encore écrire, lire les textes des uns et des autres, partager en petits groupes nos impressions et conseils, échanger sur les mille facettes du métier de plume, discuter de tout et de rien autour d’un bol de mirabelles, apprendre encore un peu plus de chacun et profiter, encore quelques instants, du bonheur d’être ensemble.