Le blog de la Guilde des Plumes

Confluences

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Retraite d’écriture – jour 2

15 heures. L’après-midi s’étire, sous un ciel devenu soudainement gris. Le café est déjà loin, la digestion est en cours. Dans le salon, règne un silence quasi-total, seulement rompu par le ronron du lave-vaisselle et des doigts de Martha pianotant à vive allure sur son clavier d’ordinateur. Depuis le jardin nous parviennent les voix de Yaël et Véronique, qui barbottent dans la piscine, pas impressionnées du tout par les gouttes de pluie qui commencent à tomber. Au déjeuner, on a parlé à bâtons rompus de poésie – Pessoa, Neruda, Hugo – de Murakami, de romans policiers, de politique, des grands-mères de Yaël qui parlaient toutes les langues, de tarot et de Guillaume Musso. Les plats sont passés de mains en mains, on s’est servis et resservis, et les conversations se sont poursuivies dans la cuisine, plus intimes, autour de la cafetière et de la vaisselle que l’on range à la fin du repas. Puis, sans que l’on sache exactement quand ni comment, le calme s’est fait dans la maison. La terrasse, trop chaude, s’est vidée, et les voix se sont tues. Les esprits, à nouveau concentrés, ont réembarqué pour de longues traversées en solitaire – en quête du mot juste, de la formule qui claque et de l’image qui touche.

Tout à l’heure, Alexandra est descendue de sa chambre, et a annoncé à voix basse, à qui voulait l’entendre, avoir mis un premier point final à son texte : « c’est un premier jet, je dois encore tout relire », a-t-elle précisé avant de remonter illico dans sa chambre. On est heureux pour elle. Martha peste contre son ordinateur, qui lui fait des misères et fait des sauts de page là où il ne faut pas. Ce matin, de 9h à 10h, elle a écrit d’une traite un passage crucial mais difficile – pour des raisons qu’elle ne précise pas – et qu’elle appréhendait d’écrire depuis longtemps. Fierté du sommet atteint. Et elle, ne se relira pas : « pas la peine de toutes façons, je ne le réécrirai pas », déclare-t-elle sur un ton sans appel. Après son exploit, Martha n’a plus pondu une ligne de 10h à midi. La plume a ses élans que la raison ne comprend pas.

De temps à autre, on se lève, on s’étire et on vient dans la cuisine, pour préparer un thé chaud, prendre une part de gâteau au chocolat qui trône sur la table, ou simplement regarder par la fenêtre les yeux perdus dans le vague, encore tout à son texte. Certains font lire leurs écrits aux autres. Moment suspendu, où l’on craint la sentence, même si l’on a établi hier une méthode objective et rationnelle de feedback, proposée par Hadrien : dire ce que l’on a aimé, moins aimé, ce qui nous interroge, et les idées que l’on propose. Martha fait les choses bien : elle écrit dans un cahier toutes ses remarques sur le texte d’Alexandra, avant d’entrainer cette dernière dans un conciliabule animé au fond du jardin. De son côté, Emma fait lire à Hadrien sa galerie de portraits incisifs et poétiques. De ces lectures mutuelles, qui sont autant d’influences potentielles, naitront peut-être de nouvelles idées. Les esprits, fécondés par d’autres visions, seront peut-être emmenés sur des terres inconnues, dont surgiront de nouvelles images et de nouveaux langages. La magie du collectif.