Le blog de la Guilde des Plumes

La Guilde a lu pour vous… Le procès Pétain, de Julian Jackson

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Mais que vient faire un tel livre dans les recommandations de la Guilde ?
A priori, un livre sur un procès historique et ses répliques jusqu’à nos jours est un peu éloigné des activités quotidiennes de la plume… Mais vous comprendrez très vite en l’ouvrant combien il résonne avec les questionnements contemporains de l’écriture de discours.

Julian Jackson nous dresse le portrait des protagonistes de ce procès, des hommes qui – du côté de l’accusation comme du côté de la défense ou de l’audience – cherchent à réécrire l’Histoire en réécrivant leur histoire dans ce qui fut la débâcle de 1940 et les 4 années d’occupation et de collaboration qui suivirent.

Ce faisant, il écrit un livre magistral pour illustrer le concept de fenêtre d’Overton, cette idée qu’il existe à un instant t une gamme d’idées et de politiques publiques politiquement acceptables par l’opinion publique et que l’un des enjeux du discours, c’est de faire bouger cette fenêtre en fonction de ses objectifs.

En essayant de donner a posteriori de la cohérence narrative au chaos que furent les jours de juin et juillet 1940, Reynaud, Weygand, Laval et consorts illustrent en creux combien la fenêtre d’Overton s’est subitement déplacée depuis la Libération. Pétain incarnait la légalité, De Gaulle incarne désormais la légitimité. L’armistice, présenté comme un geste de protection, est devenu un geste de trahison. Vichy revendiquait la continuité de l’État, la France Libre lui oppose la Nation. Quand les collaborateurs prétendent avoir voulu sauver des vies, les Résistants défendent l’idée qu’il fallait sauver l’honneur.

C’est un combat de valeurs qui a lieu dans le prétoire bondé et moite du palais de Justice, bien plus qu’un procès pour trahison reposant sur un dossier mal constitué et mal analysé. La figure de Jacques Isorni, avocat de Pétain et très bon plaideur, incarne ce combat pour tenter de réhabiliter le Maréchal dans une période où la France cherche des figures totémiques pour éviter de regarder sa responsabilité collective.

La lecture de ce livre est passionnante pour toutes les plumes qui, pour construire un discours et l’écrire, ont besoin en amont de comprendre et de conceptualiser le socle de valeurs auquel celui-ci se rattache. Et de trouver ensuite les voies oratoires pour le faire vivre.

Anne Pedron-Moinard pour La Guilde des Plumes